Lors de mes premiers articles sur le blog en 2017, vous aviez déjà eu à découvrir la marque So’fatoo et l’incroyable personne derrière celle-ci, Fatima Zahra Ba (sinon voici le lien vers l’article: cliquez ici).
Aujourd’hui, 10 ans après la création de So’Fatoo, Fatima nous parle avec son expérience et nous dit tout sur comment lancer sa maison de couture dans le haut de gamme.
Le secteur du haut de gamme
Les marques de prêt-à-porter haut de gamme sont de plus en plus nombreuses au Sénégal, surtout celles spécialisées dans le style tradi-moderne.
Cependant, ce marché a encore beaucoup de potentiel : si on veut se lancer et réussir dans ce milieu, il est crucial de trouver une niche et ne pas faire la même chose que tout le monde.
Aujourd’hui, toutes les marques qui cartonnent ont été pionnières dans ce qu’elles font, comme Sisters of Africa avec le Tie and Die, Zadada avec leur style de boubous en patchwork, Mathydy avec leurs montres , Imaara avec leurs bijoux ou encore nous-même avec nos design tradi-modernes et notre réinterprétation du pagne tissé comme ornement.
Donc, trouver sa niche et avoir une identité de marque vous permettra de vous positionner au devant de la scène, car c’est ce qui marche ici au Sénégal: qu’on puisse voir vos créations et reconnaitre immédiatement votre marque.
Parcours de So’Fatoo: les difficultés
La difficulté principale depuis le début et qui est toujours d’actualité est la production.
Avoir une production constante et de qualité est un défi permanent, surtout à cause du sourcing* des matières premières qui viennent de l’étranger.
Pour le pagne tissé, il est fait localement, mais là encore, les tisserands ne sont pas tout le temps réguliers ou professionnels.
Les autres tissus utilisés comme le crêpe, le super 100 anglais, la mousseline ou encore le brocart sont tous importés. Qui dit importation dit quantité limitée et surtout dépendance du fournisseur.
Et pour commander à la source, c’est pas moins de 1000 mètres de tissu par couleur. Hors pour pouvoir se permettre de commander ces quantités, il faut atteindre un certain niveau de production. So’Fatoo n’en est pas loin mais il y a encore du travail. Nous commandons donc à la source les 4 ou 5 coloris les plus utilisés pour la marque et achetons le reste au détail.
*Le sourcing englobe généralement l’ensemble des étapes qui permettent de sélectionner les fournisseurs et fabricants capables de réaliser vos produits ou de vous approvisionner en tissus, fils ou mercerie
Se lancer dans la couture haut de gamme: les étapes
1-Connaitre sa cible:
Si vous ne savez pas pour qui vous allez faire des vêtements, vous ne saurez pas quels types de vêtements faire.
Donc, commencez par définir votre cible, faites des questionnaires (ex google forms), des enquêtes sur les réseaux sociaux , discutez avec des amis, vos proches, faites des petits groupes de création.
En général, vos premiers clients seront vos proches, donc vous pouvez vous baser sur leurs feedbacks pour commencer.
2- Acheter les tissus
Pour acheter du tissu ici à Dakar, le meilleur endroit est le marché Gambie de Colobane (une fois arrivé à la caserne de pompier, demander le marché Gambie).
Il y a des boutiques qui vendent plusieurs types de tissus, par exemple la boutique du vieux Sylla ( Allah tentu) qui vend beaucoup d’imprimés, Talla Seck qui a aussi plusieurs types de tissus unis ou Sante Yallah Boutique qui a une large variété de matières.
Sur la rue de Thiong également et à Sandaga il y a pas mal de boutiques.
Il n’y a pas de prix en gros. Ils vendent tous au détail mais ils peuvent diminuer un peu du prix et vous vendre à crédit une fois que la confiance est bien établie.
3- Trouver des tailleurs
Si vous êtes en mesure vous-même de recruter vos tailleurs et travailler avec eux, c’est l’idéal.
Si vous cherchez à vous lancer dans le haut de gamme avec des produits et des finitions de qualité, je vous recommande d’aller voir les instituts de couture comme l’ICCM (ICCM Dakar Institut de Coupe de Couture et de Mode). Leurs élèves ont un minimum niveau bac mais il faut être en mesure de payer de bons salaires.
Pour la sous traitance qui peut mieux vous convenir à vos débuts , vous pouvez aller à la galerie , à Touba Sandaga ou à Touba Darou Salam. Vous y trouverez plein de tailleurs indépendants qui ont un très bon niveau.
Par contre, il faut vraiment suivre derrière et faire du monitoring, surtout pour les finitions. De plus, c’est une tarification à la pièce . Ça vous coutera donc plus cher que si vous recrutez quelqu’un. Mais c’est un bon système tant que vous ne produisez pas en grande quantité.
4- Les machines incontournables
Vous pouvez vous fournir à la boutique Thiam et frères, ou encore à Scantima (sur la route entre Liberté 6 et VDN), qui vendent des machines italiennes avec une garantie sur un an , et ont tous types de machines.
Je vous recommande de commencer au moins avec une ou 2 piqueuses, et une surjeteuse (la machine pour le surfilage ), un fer à vapeur (mieux vaut l’acheter chez Thiam et frères: leurs fers sont performants et beaucoup plus abordables).
Pour tout ce qui est broderie, à moins que ça ne soit la principale chose que vous fassiez, je vous conseille d’aller chez des brodeurs au détail. Par contre, ça coûte beaucoup en terme d’allers-retours et de livraisons.
Sinon, si vous avez les moyens, achetez une machine: vous pouvez commencer par une 20U qu’on peut avoir à 200.000 fcfa.
Elle est différente des 217 qui sont plus prisées au Sénégal, mais plus chères aussi à 1million fcfa et plus. Avec un tailleur qui est vraiment bon, la différence ne se verra pas trop entre le rendu des deux machines.
5- Avoir un local
Ça peut être juste une pièce, même le garage de chez vous.
Par exemple, les premiers tailleurs de So’Fatoo, (il y’en avait 2) étaient dans une chambre d’amis, chez mes parents, ensuite un abri de fortune qu’on a construit derrière la boutique, puis un appartement quand l’effectif est devenu beaucoup plus grand (15 tailleurs aujourd’hui).
Je vous conseille d’éviter le plus longtemps possibles les charges fixes comme le paiement d’un loyer . Ça plombe rapidement votre trésorerie.
6- La formalisation de la structure
Avec l’Apix, créer une entreprise se fait le plus simplement possible en l’espace de 48 heures .
Après, cela peut vraiment se faire bien après. Tant que vous n’aurez pas un chiffre d’affaire conséquent ou des clients institutionnels qui sont obligés de travailler avec des structures organisées, ce n’est pas la peine.
Au moment de vous formaliser, je vous conseille de commencer par une entreprise individuelle et de garder ce format jusqu’au moment ou vous serez assez grand pour accueillir des investisseurs.
Il vous permettra d’être affilié au régime fiscal de la contribution globale unique ( CGU) et de simplifier vos impôts.
Vous pouvez utiliser un compte bancaire personnel, même si vous le créez juste pour les transactions de votre affaire ou créer un compte d’entreprise pour plus de crédibilité une fois que vous aurez votre rccm et votre ninea. Je vous recommande la BNDE comme banque . Vous aurez rapidement un TPE et leurs agents sont très professionnels.
7- Prix et marges
Personnellement, je marge très peu pour plusieurs raisons : masse salariale importante (une vingtaine d’employés aujourd’hui), prix élevé des tissus dû à la qualité, le grammage et l’origine ( Corée) , les erreurs de production etc .
Mon principal conseil : il vous faut bien maitriser votre structure de coût.
Il faut que vous sachiez quels sont les postes de charges qui vous coutent de l’argent et garder un oeil dessus
parce que ça évolue rapidement.
En fonction de votre coût final, mettre une marge raisonnable qui vous permet de pouvoir réinvestir dans l’entreprise et de l’agrandir.
Il y a 2 ans, je faisais un meilleur profit, car j’employais moins de gens, et j’avais moins de coûts de fonctionnement même si le chiffre d’affaire était moins élevé. Tentez donc de réajuster au fil des années.
Aussi, faites vous conseiller: Il y a forcément des gens autour de vous qui ont fait finances ou qui s’y connaissent en gestion financière… peu importe le domaine où vous êtes, vous avez besoin de personnes qui sont des spécialistes dans ces fonctions support et qui vont vous donner les bons conseils. Et bien sur en prenant toujours en compte le pouvoir d’achat de vos clients.
8. Le marketing et la communication
Vous devez vous en occuper en parallèle de toutes ces étapes .
Aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux, si vous êtes bon, vous pouvez vous même vous construire une belle identité de marque. Utilisez canva pour vous créer un logo , choisissez des polices qui vous ressemblent , définissez vous une palette de couleur.
Si vous pouvez vous le permettre , prenez la version pro pour avoir accès à plus d’outils. C’est l’application parfaite pour créer tout votre contenu.
Pour faire des réels sympa, vous pourrez utiliser capcut et Lightroom pour la retouche photo. Et si vous pouvez, utilisez les presets sur lightroom pour donner de l’harmonie à vos feeds .
Aussi, publiez au moins deux collections par année et bien sur, tentez de suivre un fil conducteur. Il faut que les vêtements d’une même collection parlent le même langage. Si vous n’avez pas étudié la mode, le plus simple est de la travailler par matière et par palette de couleurs.
En dernier lieu , choisissez une égérie pour votre marque. Ça peut être vous même ou une proche et dés que vous pouvez, tentez d’intégrer les séries pour exploiter le marketing d’influence à moindre coût.
Les étapes, oui, mais pour tout ça, avec combien on pourrait démarrer?
Si vous voulez démarrer un atelier avec vos propres fonds, je dirai que le montant minimal pour démarrer serait à peu près 900.000 fcfa.
Si vous avez votre propre tailleur et votre propre machine, vous aurez beaucoup plus de liberté.
Voici un résumé des dépenses à prévoir (les prix sont approximatifs!)
une piqueuse: 180.000 fcfa
une surjeteuse: 250.000 fcfa
Un fer 50.000 fcfa
un stock de tissu avec petite mercerie: 220.000 fcfa (environs 1.500/2.000 fcfa le mètre de tissu). En moyenne, une tenue prend entre 3 et 5 m de tissu, donc avec 100 mètres de tissu, vous pourrez faire entre 20 et 30 tenues .
prévoir 2 mois de salaires pour votre (vos) tailleur(s) à 100.000 f pour un début. Vous augmenterez son salaire.
Si vous voulez commencer avec des tailleurs indépendants, bien sûr, c’est différent.
Vous aurez juste à prévoir de quoi acheter le tissu, mais en terme de rendu, vous n’aurez pas forcément ce que vous voulez et vous aurez beaucoup de frais de pressing. Par exemple, avant d’avoir mes propres tailleurs, j’avais entre150.000 et 200.000 fcfa de frais de pressing minimum par mois (dûs aux tâches sur les vêtements, etc…) et plus pour les périodes de Tabaski ou de fêtes.
Pensez aussi aux frais de livraison/ transport, au temps que vous prendrez pour les allers-retours et rester sur place pour certaines retouches, ou finir des commandes à temps. De plus, si un client a besoin de retouches, il vous faudra l’emmener sur place, ce qui peut nuire à votre image de marque.
Sinon, vous avez d’autres possibilités de financement avec des structures comme La DER (la Délégation générale pour l'Entreprenariat Rapide) ou encore l’ADEPME (l‘agence de développement et d'encadrement des petites et moyennes entreprises). Les tontines aussi marchent très bien! Vous pouvez commencer une tontine, à hauteur de 50.000 fcfa le mois et démarrer avec un 500.000 fcfa.
Un dernier conseil?
Il faut déjà accepter que, pour se lancer et avoir du succès, dans les premières années, vous n’aurez pas de vie sociale, ni personnelle, car vous aurez une charge de travail énorme qu’il faut être prêt à assumer.
Il faudra que votre famille vous soutienne et que les gens autour de vous soient compréhensifs.
C’est maintenant que j’ai le temps de voir mes amis, qu’on se retrouve, mais avant on pouvait rester des mois sans se voir, sans s’entendre. Ce sont des personnes, qui me comprenaient et qui ont été la depuis le début.
Une autre chose qui aide vraiment: toujours réserver un minimum de temps pour vous, une journée ou même une demi-journée.
Pour moi par exemple, le vendredi matin est dédié spécialement à passer du temps en famille.
Même dans les moments où vous travaillez, prenez des petits moments pour vous, un petit 15min, une pause café. Prenez la peine de vous aménager des petits moments d’indulgence et de plaisir personnel.
Dernier conseil : priez fort pour tous vos challenges et célébrez vos succès, aussi petits soient- ils. Chaque vente, chaque retour positif est une réussite et une bénédiction du Tout puissant.
Rappelez vous toujours qu’au final , ce que vous ferez doit juste être un moyen de contribuer à votre épanouissement et à votre réussite mais ce n’est pas le but ultime de votre vie .
So’ Fatoo a contribué à mon épanouissement mais je suis plus qu’une marque. De même la marque n’est plus qu’à moi , elle appartient à tous ceux qui l’aiment et se la sont appropriée.
Ne prenez donc pas les choses trop à coeur mais dans tout ce que vous ferez, mettez y du coeur .
Que Dieu vous Facilite!
Recap sur la marque SO’FATOO
La dernière fois que je vous ai parlé de So’Fatoo, c’était en décembre 2017, lors de la sortir de la collection Laamu
(voici le lien vers l’article: cliquez ici).
Aujourd’hui 5 ans après, nous sommes allés les voir, et que de chemin parcouru depuis lors!
So’fatoo, ce n’est plus juste une marque de prêt-à-porter.
C’est aussi un évènement annuel qui a un franc succès dans la capitale!
Leur dernier évènement, The Tribute, vient d’avoir lieu ce 29 octobre pour rendre hommage à la mère de Fatima, la fondatrice et soutenir la lutte contre le cancer.
So’Fatoo, est maintenant représentée 12 boutiques et concept stores qui exposent dans plusieurs pays sur 3 continents!
La première boutique de la marque, le So’Room a ouvert en fin 2019 suivi d’une deuxième, le grand So’Room qui vient d’ouvrir en juillet 2022.
Entre temps, Fatima a ouvert en partenariat avec Hélène Daba, fondatrice de la marque SOA (Sisters of Africa) le Arka Concept store, en 2020, et un deuxième en 2021.
So’Fatoo: la suite?
Pour ceux qui attendaient: une tournée So’fatoo est prévue pour très bientôt en Amérique du nord avec 4 destinations: Atlanta, Washington, New York et Montréal.
L’objectif pour le futur est de pouvoir ouvrir dans d’autres villes leurs propres boutiques, surtout à Paris et Abidjan, qui sont les 2 destinations où il y a le plus de demandes.
De plus, avec la dernière collection sortie, lors de l’évènement The Tribute, So’Fatoo se lance dans la diversification avec un style plus tradi-moderne pour hommes et femmes. La marque veut aller plus dans le workwear, le casual, moins dans le cérémonial.
Où trouver les créations So’Fatoo:
En ligne: afrikrea
Boutiques et concept stores
Le petit so'room (lib6 ext, dakar, SN)
Le grand so'room (lib5, dakar, SN)
Arka concept sotre (Felix faure et Hotel Novotel, dakar, SN)
Capsule abidjan (cocody, abidjan, CI)
African fashion brands (bietry, abidjan, CI)
African fashion brands (Ouagadougou, Burkina FasoI)
Inaz concept store (bamako, Mali)
House of Nala (Johannesburg, Afrique du Sud)
African Borders (Niamey, Niger)
Voodart Concept (Douala, Cameroun)
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